Introduction
1- Regards sur la sculpture classique
Préambule
1.1-La Renaissance
1.2-Le Maniérisme
1.3-Le Baroque
2- Déconstruction de la notion de sculpture
Préambule
2.1-Quelques exemples qui poussent au questionnement
2.2-Deux cas symptomatiques: Marcel Duchamp et les artistes minimalistes
2.3-L'élargissement de la notion de sculpture
3- Un cas particulier de forme-sculpture
Préambule
3.1-Le problème du son
3.2-La place de la forme-sculpture vidéo au musée
Le statut comme la définition de l’art vidéo n’ont jamais été très clairs. En elle se confondent tout un type et de définitions, taxinomie de genres (et sous-genres): les installations vidéo, les environnements vidéo, les dispositifs vidéo, l’art-TV, les sculptures vidéo,... La seule chose que l’on puisse avancer avec certitude c’est que l’on n'a commencé à parler d’un "art vidéo" qu’à partir des performances-sculptures de Paik et Vostell, personnalités Fluxus, vers 1963. Or, en fait de vidéo, c’est d’interventions sur moniteur dont il s’agit. Ce qui correspond en fait plus à du bricolage électromagnétique qu'à de la vidéo n’en est pas moins désigné, par la majorité des "historiens" d’art, comme la naissance d’un art lui étant lié. Et cette période sera appelée, a posteriori, "art-TV". A l'instar de la forme-cinéma, qui exploite les références télévisuelles et cinématographiques dans ses processus expositionnels, se développe une conception contraire qui cherche à libérer la vidéo de ses référents directs, tant au niveau de la création que de l'exposition : là où la vidéo se pose comme élément du processus audiovisuel, c'est à dire comme instrument des mass médias, des artistes vont chercher à s'opposer à cette référence naturelle, à l'infléchir afin d'intégrer au monde de l'art et de l’exposition ce médium. C'est ainsi qu'il faut entrevoir les travaux entrepris par les pionniers de l’art vidéo au cours des années 60 et 70 : dans le sens d'une libération de l'emprise "téléviso-bigbrotherieenne" sur la vidéo. D'où tous les dé-collages, "préparations" (au sens des pianos préparés de Cage), et autres sévices perpétrés sur les téléviseurs et les bandes vidéo: comme un enfant démonte son jouet pour en comprendre le fonctionnement, certains vidéastes opèrent les éléments du vidéographique; comme un enfant, toujours, retire une à une les pattes d'un insecte, certains vidéastes dissèquent le corps du tube cathodique pour mieux le voir en souffrance (ce qui n'est pas sans rappeler les agressions portées à la bande filmique, à la même époque, par les cinéastes dits expérimentaux). L'acte créatif est envisagé comme une véritable " guérilla " menée à l'encontre d'habitudes jugées comme néfastes, comme un acte de dénonciation servant la "cause" artistique. Ce qu'il y a de commun à toutes ces attaques c'est leur volonté de spatialiser la vidéo, de la rendre objet afin qu’elle perde son statut d’objet temporel et de télévision. Entre ses téléviseurs préparés, ses totems et ses murs d'images, Nam Jun Paik a, à maintes reprises, affirmé des références à la sculpture. Il faut cependant distinguer deux types d’expressions sculpturales : celles qui se réapproprient les modalités de la sculpture classique, comme les totems de Paik, et celles qui se réfèrent au modèle de l’installation, de la sculpture moderne et contemporaine. Ainsi toute une frange de la création vidéo, dans le sillage de l'art-TV inauguré par Fluxus, va chercher à faire se développer ce médium dans l’espace. Il se développe donc une politique créative axée sur la spatialité et l’implication du spectateur dans l’œuvre (dont on déjà pu noter l’émergence dans certaines expressions du cinéma plasticien) en référence directe à la sculpture entendue dans son sens le plus large. Paradoxalement, cette mode a été récupérée par les institutions qui ont vu dans ce devenir-objet un moyen, un palliatif à leurs problèmes par rapport à la vidéo : la forme de la sculpture est une forme connue, un mode de classification logique. D’où, pendant les années qui ont suivi et jusqu’au milieu des années 90, la prolifération des installations et sculptures vidéo : à une demande de l’institution répondit une large production. Mais cette forme sculpture ne naît pas avec la vidéo, ou plutôt par la vidéo : depuis le début du 20e siècle, nombre de productions artistiques laissent perplexes penseurs, institutionnels et critiques en raison de leur statut hybride, rebelle à toute catégorisation. Pourtant le terme de sculpture leur est accolé à chaque fois qu’il s’agit de désigner une occurrence en trois dimension. Mais comment justifier l’emploi de ce vocable par rapport à des œuvres comme les L-beams de Robert Morris ou Lyon video wall de Nam June Paik ?
Pour parler de ce problème propre à la sculpture du 20e siècle, je tenterai tout d’abord de dessiner rapidement une définition de la notion de sculpture à travers les mouvements et artistes qui ont fait la période qui s’écoule du début du 15e à la fin du 18e siècle en occident. Une fois ceci terminé, je me pencherai, exemples à la clé, sur les cassures et ruptures qui, tout au long du 20e siècle, décomposèrent la notion de sculpture. Enfin, j’appliquerai tout ce qui aura été mis en avant sur un cas précis : celui des vidéos forme sculpture.
Le terme de sculpture désigne traditionnellement des formes en trois dimensions réalisées par une main humaine dans un but, si ce n’est artistique, tout au moins esthétique ou rituel. Il désigne une catégorie historique, conventionnelle et surtout non universelle : chaque pays, chaque époque entrevois le terme de sculpture dans un sens différent (et à l’intérieur de ces groupements de sens on peut encore trouver, à l’infini, des distinctions). Elle obéit donc à des règles qui lui sont propres et qui sont différentes suivant le point de vue que l’on adopte. La sculpture est nécessairement figurative et verticale, et Benjamin Buchloh l’appelle une " construction-objet orienté ". Elle répond donc à une logique interne. Or cette logique, comme l’explique Rosalind Krauss, est liée à celle du monument dans le sens où elle a pour corollaire une valeur commémorative. C’est à dire qu’elle répond à une logique de la représentation et de la trace, elle cherche à perpétuer des événements, des personnages importants pour la communauté qui les promeut, ou encore à incarner des divinités inaccessibles autrement que par la représentation. Si la sculpture existe depuis la préhistoire, elle servait alors à représenter des divinités protectrices, le terme de sculpture n’apparaît qu’à partir du 14e siècle où il sert à désigner l’objet sculpté ou gravé dans de la pierre, le mot même provenant du latin sculpere, sculptum.
Ce n’est qu’au lendemain de l’an mille qu’apparaît dans le vocabulaire médiéval le terme d’ob-jectum qui signifie en substance : jeté à la rencontre de. Au cours du 15e siècle, il va être appliqué à la sculpture qui sera alors conçue comme un objet "autonome" et impliquera une appréhension de ses formes dans la confrontation, la saisie englobante, mais à distance. Cette conception gagne assez vite tout l’occident et se répartit en une série de variations dues à la langue. A la fin du 15e siècle, l’Europe est ravagée par les guerres intestines qui s’y succèdent en divisant les états. Sur le plan culturel, par contre se développent de nouvelles idées, quant au rapport que l’homme entretient avec le monde et à la place qu’il y occupe. Ces théories découlent des travaux menés, depuis un siècle, par les humanistes. On pourrait "résumer" le climat de pensée de cette fin de siècle en disant que les hommes (instruits) d’alors considèrent qu’il faut prendre conscience de la force que l’homme représente au sein de l’univers (homme signifiant l’humanité en général et la gent masculine en particulier). Tout homme conscient de sa force peut avoir une incidence sur le temps et l’espace où il évolue à partir du moment où il apprend à en maitriser les outils, et cette maîtrise passe par l’apprentissage. Les sciences de tous ordres sont préoccupations quotidiennes de ces humanistes. A cette époque, c’est à dire à la fin du 14e siècle, le sculpteur est considéré comme un artisan : qu’il s’agisse d’un tailleur de pierre ou d’un sculpteur, on ne fait aucune différence, considérant qu’il s’agit dans tous les cas d’arts mécaniques qui ne requièrent qu’un savoir-faire manuel dépourvu de savoir théorique. Avec la découverte des vestiges de l’antiquité, et leur relecture par les humanistes, on assiste à un remaniement complet de la notion de sculpteur, et plus généralement d’artiste. Dans l’idéal humaniste, le sculpteur est un intellectuel qui, pour pouvoir faire une sculpture digne de ce nom, c’est à dire harmonieuse et respectueuse des lois de la proportions, se doit d’avoir assimilé les règles, mathématiques, de la-dite proportions et avoir, en supplément, développé une sensibilité propre à transparaître dans le rendu final de telle sorte que la sculpture puisse émouvoir son spectateur autant par la technique de réalisation (le savoir-faire n’est pas pour autant mis de côté) que par son interprétation. Forts de ces réflexions, les artistes vont tout faire pour être reconnus comme représentants d’une nouvelle catégorie des arts libéraux, au même titre que les scientifiques ou les philosophes. C’est là, à la charnière des 15e et 16e siècles, sous l’influence de la pensée humaniste et antiquisante, que prend naissance la sculpture en ronde-bosse moderne, celle qui est si représentative de la sculpture classique et que forgèrent les Donatello et Michel-Ange pour ne citer qu’eux. Cette "nouvelle" sculpture représente un homme idéal ou plutôt idéalisé qui se dresse au milieu d’un espace dont il est un des éléments clés. Donatello, en instaurant une indépendance entre l’architecture et la sculpture, donne à la sculpture un statut d’objet. En s’intellectualisant, la statue prend une nouvelle signification : elle délimite un espace et en donne, tout à la fois, la mesure. L’espace qu’elle définit est à deux pans : d’une part il est constitué de ce que Focillon appelle l’espace limite, c’est à dire l’espace où la sculpture est installé, l’espace qu ‘elle occupe ; et d’autre part par ce que Focillon appelle l’espace milieu, c’est à dire celui où se trouve celui qui la regarde. Cette conception binaire de l’espace sculptural influe sur la façon dont les œuvres sont réalisées. En effet, s’il existe une forte dichotomie entre regardeur et regardé, cela signifie que c’est la sculpture qui donne à son spectateur son point de vue : ce doit être elle qui lui impose, sans autres choix possibles, une perspective, son meilleur profil en quelque sorte. Car postuler que l’artiste est une sorte de savant implique une différence très marquée entre le créateur et son public (à entendre comme non-savants) : l’artiste, qui a acquit une connaissance, a pour mission de guider son regardeur,de lui transmettre son savoir. Cette pensée a permis ou induit les théories sur la perspective monoculaire centriste de Brunelleschi et Alberti. Selon eux, une bonne sculpture ne saurait se concevoir que d’un seul et unique point de vue. Pour autant cette sculpture ne lorgne en rien sur les reliefs : chaque angle doit être fait et bien fait, mais un seul donne à l’ensemble sa splendeur. L’exemple le plus frappant est le " St Jean l’évangéliste " de Donatello. Installée à quelques mètres de hauteur, la statue aurait subi des déformations visuelles si elle avait été réalisée simplement comme un sculpture "de sol", déformations dues à la vue en contre-plongée relative à son placement. Pour que sa statue garde toute sa splendeur et reste conforme aux dogmes de la proportion harmonieuse, Donato y fit plusieurs retouches de sorte que la composition tienne compte de l’angle de vue exact. L’application la plus vive de ces préceptes ne viendra que plus tard, avec l’avènement de l’ère Baroque où, avec le composti, le spectateur sera entièrement dirigé. Mais je reviendrais ultérieurement sur ce point.
L’organisation rationnelle de l’espace imposée par les humanistes, vertueuse et sévère selon leurs propres termes, va céder la place, vers le milieu du 16e siècle, à une conception plus ouverte qui cherche à mettre fin à la perspective centriste, au moins en sculpture. Cet après Renaissance ne lui succède pas vraiment, en fait il s’y juxtapose, se réapproprie les réalisations et les gestes des grands maîtres pour faire entrer ce savoir dans les salons et les académies toutes fraîchement créées. Ce "mouvement", qui montre une telle volonté d’optimiser les formes canonisées, n’est autre le Maniérisme. On peut envisager cette mouvance, à l’instar de Panofsky, comme ce que l’on appellerai aujourd’hui un art de salon : apprécié et collectionné par la bourgeoisie italienne et réalisé essentiellement par des étudiants de diverses écoles ou académies. Or cet art maniériste, dont les principaux écrits quant à la sculpture demeurent ceux de Benvenuto Cellini, et bien que relevant d’une réapropriation des œuvres renaissances, va à l’encontre de la rigueur de ses conventions sur le point de vue.
Cellini s’oppose aux théories sur la perspective monoculaire centriste en proposant une façon de voir la sculpture, et de la concevoir, issue à la fois de son expérience de sculpteur et de ses connaissances théoriques. Selon lui une sculpture ne saurait concevoir qu’un seul point de vue car ce serait alors faire l’aveu d’une faiblesse dans la représentation des autres (angles). Il insiste au contraire sur l’importance de la prise de conscience de la tridimentionnalité des sculptures, qualité incluant, pour lui, une approche de l’objet sculptural de plusieurs points de vue, aussi bien au niveau de la perception que de la réalisation. Loin de parler d’une multiplicité des points de vue il prône simplement leur multiplication : une bonne sculpture se voit selon huit points de vue différents, desquels découlent une infinité de points de vue pour le percepteur. A cette fin, et contrairement à tout ce qu’ont pu vouloir d’importantes personnalités de la renaissance comme Vasari ou Michel-Ange, il recommande de concevoir un bozzetto qu’il conviendra de faire tourner dans ses mains et de reprendre un nombre infini de fois, jusqu’à ce que chaque angle offre une parfaite harmonie aux yeux du regardeur. Non seulement il s’oppose aux grands penseurs de la renaissance par rapport à la perspective mais en plus il cautionne le modelage comme première approche et non pas le dessin. En effet, le modelage constitue, au sens de Michel-Ange comme de Vasari, l’anti-sculpture par excellence puisqu’il la définit comme étant, par essence, l’art de ce que l’on ôte et non l’art de ce que l’on ajoute (définition qu’il donne du modelage). Une des sculptures les plus abouties de cette période serait, de ce point de vue, " l’enlèvement d’une Sabine " de Giambologna qui, par l’entrelacement de ses personnages offre une infinité de points de vue et surtout empêche d’en définir un comme prédominant par rapport aux autres.
Les deux types de pensées que l’on vient de mettre en évidence, celle de la perspective unique et celle de la multiplication des points de vue, vont se perpétuer et se succéder, de façon alternative (ou en se juxtaposant), tout au long de l’histoire de l’art : seules les formes et formulations changent au fil du temps.
On peut voir dans les développements sculpturaux de l’ère baroque une synthèse paradoxale et involontaire de ces deux conceptions de la relation à l’espace. Les artistes du baroque se réfèrent essentiellement aux théories des grands penseurs de la renaissance pour étayer leurs propos et vont dans le sens de la perspective unique. Pour autant il y a, dans l’exécution de leur travail, un tel perfectionnisme que l’on peut considérer chaque "face" comme étant d’une égale harmonie. L'artiste baroque ne se réapproprie pas des modèles et ne tente pas non plus d'imiter la nature : il met en scène ses créations, il théâtralise l'espace de représentation des œuvres pour créer un spectacle visuel illusionniste. Comme dans ces grandes fêtes pour lesquelles étaient fabriquées des statues et des chars éphémères, les artistes de l'époque (ceux-là mêmes qui créent ces représentations) cherchent à faire rentrer les spectateurs dans leur jeu, dans leurs théâtres d'illusion: chaque mise en place de sculpture(s) est envisagée comme une mise en scène, une scénographie dans laquelle un drame se joue.
Une bonne partie des œuvres sculpturales de l’ère baroque étaient destinées à des lieux de culte et l’on peut trouver dans les réalisations faites pour l’Eglise catholique, premier promoteur de l’art baroque, une bonne expression de l’art du temps. Les églises Baroques étaient vouées à provoquer sur le croyant une perception que les théologiens qualifient de " conformation affective ". Cette attitude perceptive se caractérise par la passivité du pratiquant-contemplateur : saisi dans son adoration du christ, il contemple religieusement ses représentations, dans la prière et l’attentisme. En entrant dans une église Baroque le croyant doit suivre mentalement le cheminement spirituel des saints en représentation afin de prendre conscience, par ces allégories, de l’extatique béatitude qu’induit la vision de l’Eternel. Cette béatitude, cette passion s’accompagne d’un abandon du corps terrestre au profit d’une élévation de l’âme étant entendu que la passion, selon les théologiens, constitue un renoncement à sa volonté propre dans une dévotion au Christ : il s’agit d’être agi par lui et non plus de procéder par sa volonté. Cette attitude est mise en scène dans les réalisations sculpturales du baroque. L’adoption dont procède ce phénomène est fortement duelle et hiérarchisée dans le sens où il y a un modèle et une personne qui s’y conforme. Le croyant adore l’image de la représentation sacrée et éprouve pour elle le sentiment de sacré : à travers elle c’est Dieu qu’il vénère. Etant à la fois inclus au processus de la représentation et exclu de l’événement, le spectateur prend conscience de sa position de simple mortel. Ce qui a pour effet de renforcer le respect qu’il éprouve, de façon confuse, à la fois pour l’événement et sa représentation : la sculpture, ou plutôt l’ensemble sculptural, sert de modèle de conformation au croyant.
Ce que je désigne sous le nom d’ensemble est nommé par Le Bernin le " bel composto ". Ces composti sont des assemblages hétéroclites d’œuvres qui, agencées entre elles, constituent un continuum spatial, une œuvre globale composée de diverses œuvres réalisées isolément mais exposées ensemble, assemblées les unes aux autres au sein d’un même espace qui inaugure une mise en correspondance des trois arts (peinture, sculpture, architecture). Chaque élément du dispositif peut être perçu comme entité autonome aussi bien que comme partie intégrante d’un tout. Il existe donc une perception à deux niveaux qui permet soit de jouir de l’ensemble de la composition comme s’il s’agissait d’un tableau en trois dimensions (comme le recommande Le Bernin), soit de profiter des détails de cet ensemble isolément, comme lorsque l’on s’attarde sur le détail d’un tableau. Pour autant, Le Bernin (comme la plupart des artistes du baroque, étant entendu que je me sers ici de lui comme d’une figure de référence) fait tout pour jouer le jeu de la perspective unique et imposer un seul point de vue à ses spectateurs. Pour ce faire, et particulièrement à la fin de sa vie, il cherche à installer ses composti dans des cadres visuels qui imposent une certaine attitude à ses spectateurs . C’est à dire qu’il utilise la structure architecturale du lieu où sont installées ses statues ou ses composti pour amener le spectateur au point de vue qu’il estime le meilleur, lui laissant ainsi une marge de manœuvre on ne peut plus réduite : elle équivaut à celle du spectateur face à une scène, c’est à dire que seuls les déplacement où la vision reste frontale sont encore possibles. La dévotion à la structure se joue alors aussi sur deux niveaux : celui de la religion (l’adoption de l’attitude dévote des sujets représentés) et celui de la réception.
La mise en scène des sculptures et composti baroques sont, semble-t-il, une expression avant l’heure de l’exposition muséale. En effet on retrouve dans les deux cas le même respect et le même asservissement aux desiderata de l’auteur ou du "metteur en scène". Il y a aussi cette même volonté d’imposer une direction au regard du spectateur à travers l’architecture ou encore l’agencement des œuvres et/ou du lieu.
On constate, dès la fin du 19e siècle et tout au long du 20e, que la création artistique, et particulièrement sculpturale, cherche à aller à l’encontre des conventions établies. S’il ne s’agit pas d’une évolution linéaire, mais plutôt d’une succession de ruptures jonctions et disjonctions, on peut toutefois dégager dans cette période deux phases. La première s’étend grossièrement sur tout le 19e siècle et entame, à partir des théories romantiques, un processus de questionnement critique quant à la validité des conventions traditionnelles. La seconde prend effet sur tout le 20e siècle et applique les schémas déconstructifs esquicés au cours de la première phase, ce qui induit une remise en question qui ébranle jusqu’à la définition même de l’œuvre d’art. Rosalind Krauss, qui s’est intéressée à cette déconstruction, considère qu’elle est le fait autant que l’expression d’une pensée moderne qui se définit, dans ses extrémités, par une pure négativité par rapport à la tradition.
Il sera donc intéressant de regarder quelques cas d’œuvre, d’artistes ou de mouvements ayant participé, de façon notable, à ces transformations ; puis, au jour de ces exemples, de voir comment cette pensée a pu être théorisée par Krauss sous la conception d’un élargissement du champ de la sculpture.
L’histoire de la sculpture au 20e siècle va pour une part dans le sens d’une autonomisation de l’objet-sculpture, avec quelques retours en arrière bien sur. Cette recherche de l’autonomie passe par l’autonomisation de la sculpture du lieu où elle prend place (le premier à avoir œuvré dans ce sens étant David) pour ce faire, et comme on l’a vu pour le cadre à propos du tableau, la sculpture utilise traditionnellement un médiateur, en l’occurrence le socle, qui est autant facteur d’autonomisation, en la différentiant du reste de la pièce que faire-valoir, puisqu’il est piédestal. Rodin, déjà, utilisait ce que l’on désigne communément comme un socle comme élément intégré à sa sculpture. Plus tard Brancusi le fétichisera pour le faire devenir sculpture comme c’est le cas dans la célèbre Colonne sans fin. On retrouve une identique volonté en Europe de l’Est à la même époque avec les travaux des Constructivistes ou de Laszlo Moholy-Nagy par exemple.
Clément Greenberg utilisera la notion d’autonomie dans un sens radicalisé. Avec ses théories, celles qui forgent le modernisme, il entérine une conception de la sculpture essentielle : qui ne renvoie à rien d’autre qu’à elle-même et qui ne parle que son langage propre. Ce qui implique notamment une autonomie exacerbée et une épuration des formes qui rejette tout illusionnisme. Pour autant il ne s’agit pas d’une théorie réactionnaire ou archaïque car ce que le modernisme combat et refuse c’est l’illusionnisme en art : il prône une sorte d’art pour l’art qui refuse de s’inféoder à la tradition et opère à son encontre une relecture critique. Cette relecture conduisant à systématiser, à radicaliser le langage propre à chaque médium. Ce qui produit, dans le cas de la sculpture, la recherche d’une forme à trois dimensions qui soit totalement autonome de son milieu et qui ne vise pas à une représentation réaliste de quelque chose mais qui soit quelque chose de fondamentalement visuel.
La sculpture va rompre, dès Rodin, avec la convention qui fait d’elle un art de l’extraction. Cette définition du sculpteur comme personne qui retire de la matière au bloc de matériau pour en retirer une forme date de Vasari qui en fit l’expression de la sculpture d’excellence, à la différence du modelage et du moulage qui ne sont que des activités, certes encore du domaine sculptural, mais subalternes. On peut noter que dès le baroque les artistes utilisent plusieurs blocs de matière qu’ils assemblent pour réaliser leurs sculptures, mais même si, chez le Bernin notamment, ces pratiques sont fréquentes, il ne s’agit que d’ajouts faits à partir de d’extraits de sculptures réalisés dans les règles de l’art. Le modelage demeurant une technique d’approche réservée aux bozzetti ou à l’artisanat. Ce sera donc Rodin, à la charnière entre le 19e et le 20e siècle, qui instituera l’ajout comme pratique sculpturale à part entière (alors même qu’en Europe les écrits d’Hilderbrant invoquent une pratique exclusive de l’extraction à la Michel-Ange). Cette pratique, même si elle reste encore isolée, va provoquer un renouvellement du langage sculptural dans le sens où l’ajout peut alors être entendu comme une activité artistique. C’est ce que les cubistes vont reprendre à leur compte en instituant une nouvelle théorie artistique, celle du collage, dont on trouve un corollaire chez les dadaïstes dans le montage. Greenberg reviendra sur cette distinction, arguant qu’il n’y à plus, au cours du 20e siècle, d’intérêt à vouloir dissocier/distinguer le modelage et la sculpture. Pour lui l’un et l’autre peuvent et doivent aller de pair afin d’ouvrir la sculpture moderniste à de nouvelles expériences autant visuelles que théoriques. Il est important de comprendre qu’il ne considère pas le modelage comme une pratique extérieure à la sculpture, ni même comme une de ces conventions secondaires, mais bien comme une pratique essentiellement sculpturale.
Braque et Picasso vont penser l’ajout dans son entière ouverture en se mettant à créer des collages-sculpture (je ne parlerai pas ici des tableaux) à partir de n’importe quoi, des objets de tous les jours qu’ils vont enduire de diverses matières afin de les unifier, et souvent, à la suite, les couler dans du bronze. Mais là où les cubistes utilisent des objets considérés comme non-artistiques à des fins artistiques, c’est à dire en conservant une volonté d’être art (qui implique un respect de certaines conventions ou l’instauration de nouvelles), les dadaïstes, dans leur entreprise, cherchent avant tout à tourner l’Art en dérision afin de produire un "anti-art". Il s’agit en effet pour eux de mettre à mort cet art ennuyeux et bourgeois, engoncé dans ses conventions et ses académismes. Et le moyen qu’ils choisissent pour ébranler la tradition est l’humour: tourner l’art en dérision pour en montrer faiblesses et facticités. La contemplation est une de leurs principales cibles, comme on l’a déjà vu, et l’entreprise de distraction qu’ils mènent laissera des séquelles dans l’histoire de l’art. Il semblerait en effet que la destruction du rapport contemplatif induise une remise en question immédiate de ce que l’on contemplait et du pourquoi de cette contemplation. La sculpture du montage et du collage est une sculpture de restes, de reliques de la société : des objets quotidiens, souvent manufacturés, qui ne trouvent leur statut d’œuvre d’art que par l’intervention de l’artiste.
Une personne, au début de notre siècle, stigmatise particulièrement bien toutes ces ruptures et évolutions et institue un nouveau rapport, fondamentalement non rétinien, à l’art et en particulier, pour ce qui nous occupe, à la sculpture : Marcel Duchamp. A sa suite, au cours de la deuxième moitié du 20e siècle, d’autres artistes en viendront à poser de façon concrète le problème posé par la désignation d’une forme de création artistique en trois dimensions sous le vocable de sculpture : les minimalistes.
Marcel Duchamp:
Il est évident que Marcel Duchamp ne peut être considéré comme un sculpteur: c'est un artiste, sans qualification spécifique. Mais c'est justement cette caractéristique qui va lui permettre d'apporter un regard nouveau sur cette catégorie de l'art qu'est la sculpture. En inventant ses Ready-made, Duchamp à produit un geste d’une ampleur considérable qui a fait passer une sculpture, certes en pleine mutation, du statut de sculpture à celui de geste artistique, ruinant toute définition prétendue de ce que pouvait être la sculpture. C’est cette prééminence du geste que remarque Michael Archer et qui fait de Duchamp, selon lui, le précurseur de cette forme d’expression hybride que l’on nomme installation.
Lorsqu’en 1913 Duchamp crée l’un de ces premiers Ready-made, Roue de bicyclette, c’est avec la volonté de faire une œuvre qui ne prête pas à la contemplation mais plutôt à ce que Walter Benjamin appelle la perception distraite. Il désirait voir cette sculpture "habiter" son atelier mais sans attirer forcément à elle l’attention : il voulait " qu’elle vacille à la périphérie de la vision (…) comme un feu dans un âtre. ". Il introduisit, par cela, une nouvelle fonction dans le domaine de la sculpture : le mouvement (repris plus tard par les artistes cinétiques). Ce qui fait la particularité des Ready-made, dont la Roue de bicyclette fait partie, c’est leur faculté à s’auto-désigner œuvres d’art : la roue en elle-même n’est pas une création de Duchamp, elle est un produit de l’industrie, et ce n’est que le geste de désignation de l’artiste, qui dit que " ceci est de l’art ", qui fait passer l’objet du statut de produit à celui d’œuvre d’art. Ce n’est plus, contrairement à ce qui continuait à caractériser ses prédécesseurs, l’approche visuelle de l’œuvre qui permet de l’appréhender mais plutôt la connaissance que l’on en a, connaissance dépendante de l’histoire de l’art, étant entendu qu’une telle œuvre s’insère intentionnellement dans une procédure critique à l’encontre de l’histoire de l’art (comme de la notion même d’œuvre d’art). Par ce déplacement des centres d’intérêts, que Thimoty Binckley considère comme fondamentalement moderne, Duchamp ôte toute forme d’intérêt à la touche de l’artiste comme à la facture de l’œuvre d’art : l’objet est à appréhender dans ce qu’il signifie et non dans ce qu’il présente. En somme, sa définition est une anti-définition de la sculpture, une dé-définition de ses conventions, une négation de la tradition.
Après une telle entreprise de déconstruction, qui se continuera après lui, comment employer à bon escient le terme de sculpture ? Comment, dès lors, parler de sculpture alors que plus aucun (ou presque) garde-fou ne vient en tracer les limites: tous les matériaux sont utilisées, toutes les formes, tous les moyens de production, tout du moment que la forme reste en trois dimensions… Ce problème de la nomination de formes dans l’espace sous le vocable de sculpture va devenir crucial avec les œuvres des artistes minimalistes et nécessiter une nouvelle réflexion quant à la validité des critères sculpturaux.
Les artistes minimalistes:
En refusant d’utiliser le terme de sculpture pour qualifier leurs créations en trois dimensions, les artistes minimalistes sont les premiers à remettre en question cette notion de façon notable. Malgré ce, ils continuent à être classés au rayon sculpture aussi bien dans les bibliothèques que dans les musées que pour nombre de critiques. Fait d’autant plus étonnant (qu’on les montre comme des sculptures) que le vocabulaire minimaliste rejette en gerbe toutes les conventions sculpturales.
La "sculpture" minimaliste s’oppose à la sculpture en ce qu’elle refuse toute sorte d’illusionnisme, ou de représentation, y préférant la simple présentation de formes géométriques, dites simples, qui ne renvoient à rien d’autre qu’à elles-mêmes : à leur taille, leur masse, leur occupation de l’espace. Ces œuvres tridimensionnelles sont à la limite du tautologique et peuvent s’appréhender (du moins en théorie) d’un seul coup d’œil : même si leurs taille et masse ne permettent pas forcément une perception de l’objet dans sa totalité, la connaissance que nous avons des formes géométriques simples (du moins en occident) nous permet d’imaginer immédiatement ce que nous ne pouvons directement voir :
" On voit et on "croit" voir immédiatement que le modèle qui existe dans notre esprit correspond à l’objet existant. "
C’est l’expression d’une gestaldt : l’unification, dans une perception, d’une forme en un tout qui, une fois établi, a épuisé toutes les informations concernant l’objet perçu. Cette forme unitaire, donc, est indépendante des conditions extérieures et fédère un espace qui lui est spécifique, empêchant toute idée de point de vue. Il ne s’agit pas d’œuvres réalisées à la main, sculptées ou modelées, mais de produits manufacturés agencés dans l’espace par l’artiste, ou tout au plus modifiés de façon à donner la forme géométrique désirée. La simplicité, l’épuration des formes est telle qu’elle fait prendre conscience au spectateur de l’espace dans lequel lui et l’œuvre sont inclus ainsi que de sa condition de spectateur, de son " être-là " face à l’œuvre : comme il n’y a rien de particulier à regarder (pas de " détails "), l’attention se porte sur la perception même de l’œuvre et, par extension, de son espace de réception.
Si la géométrie des formes est de toute importance, elle ne renvoie nullement à une mathématisation de la création qui, au travers d’une harmonisation des rendus (par les rapports mathématiques stricts des formes géométriques), renverrait au vocabulaire sculptural. De même, le rejet du point de vue ne signifie pas le rejet de la perspective unique mais le rejet de toute perspective : dans une " structure " minimaliste, comme les nomme Robert Morris, il n’y a rien à voir de plus que ce qui est déjà présenté, et ce n’est pas le point de vue que l’on adopte par rapport à la sculpture qui nous apporte de nouvelles connaissances sur elle, mais le rapport qu’on lui entretient.
Sur ce point, cependant, on note une divergence entre les deux principaux théoriciens-artistes du mouvement. Si Morris va dans le sens d’une œuvre qui dresse un tissus de relations avec le spectateur, Donald Judd refuse cette idée d’une présence de l’œuvre et prône une conception de l’objet exempte de tout relationnel. Si les deux protagonistes ont, au départ, parlé à l’unisson, des dissonances se sont assez vite faites sentir et il semblerai que Morris ait été plus lucide quant à l’échec des théories utopiques du minimalisme naissant. Ces textes sont en effet une sorte d’aveu de l’impossibilité à exclure toute relation entre le spectateur et l’objet exposé.
Ce que Morris met en avant c’est l’importance de la temporalité du rapport à l’œuvre qui va de pair avec une appréhension physique de ce qui constitue l’objet : on estime sa taille à partir de la notre, on évalue la masse des structures, on le compare à son espace d’inscription, le tout au cours d’un temps donné, déterminé par cette appréhension même. Ce qui produit des appréhensions spécifiques à chaque individu, ou plutôt met en avant leur singularité. Peu à peu les structures de Morris vont donner comme éléments remarquables, non plus seulement leur existence ou leur présence, mais encore leur situation : debout, couché, … Prenons l’exemple des 3 L beams de Morris (1965). Comme l’a montré Rosalind Krauss il n’est pas évident, au premier abord, que ces trois L soient identiques car :
"L’expérience différente qui est faite de chaque forme dépend à l’évidence de l’orientation des L dans l’espace qu’ils partagent avec notre corps ; ainsi la taille des L change en fonction de la relation spécifique de l’objet au sol, à la fois en termes de dimensions globales et en termes de comparaison interne entre les deux bras d’un L donné. "
Le spectateur doit se confronter à l’œuvre pour pouvoir être à même de l’appréhender : la regarder, tourner autours, l’évaluer, … On peut donc considérer l’appréhension d’une œuvre minimaliste comme une rencontre : un premier coup d'œil global sert à se donner une idée de ce à quoi on a à faire, une exploration s’en suit pour avoir une idée plus précise de ce que c'est réellement. Car si l’œuvre est donnée à voir, il n'y a pour autant rien à voir de précis, il s'agit juste d'une confrontation entre notre corps perceptif et une forme-prétexte. On peut aussi comparer cette approche à quelque chose de l'ordre de la promenade dans le sens où toutes deux s’exécutent dans le temps, se déroulent comme un parcours, avec la même idée de visite, de déplacement(s).
Georges Didi-Huberman voit dans cette évolution de la pensée de Robert Morris une sorte de retours à l’anthropomorphisme, pourtant censé être rejeté par les minimalistes. Pour étayer son propos il met en avant le passage d’une pratique que l’on peut encore, en l’étirant dangereusement, qualifier de sculpturale, à une pratique des happenings. L’œuvre charnière étant Column où il met en scène aussi bien la structure géométrique simple de l’objet que sa situation dans l’espace (debout pendant 3 minutes, puis en train de tomber pendant un quart de seconde pour enfin être au sol pendant encore 3 minutes) que sa personne puisqu’il est le "marionnettiste" de cette chute organisée. Il incarne la présence de l’œuvre à tel point qu’il y substitue sa propre personne. Par ce geste, il stigmatise ce que Michael Fried voyait principalement dans le minimalisme (et lui reprochait) : la théâtralité. Cette tendance va se confirmer avec la participation de plus en plus active de Morris à divers happenings ou events tout au long des années 60.
Ce passage de la sculpture à la personne, effectif dans les pratiques que je viens de nommer ainsi que dans leur proche parente la performance, a pour effet de donner à considérer le corps (de l’artiste ou de "l’acteur") comme un objet, comme un matériau artistique que l’on agence avec d’autres pour créer une œuvre, ou plutôt pour créer quelque chose qui ne prendra le nom d’œuvre d’art que par le geste de l’artiste instigateur. Les années soixante sont prolixes en expériences de ce type dont Fluxus ou, dans un genre plus gore, les activistes viennois sont deux exemples parmi tant d’autres. Et la Singing sculpture de Gilbert et Georges ne vient que confirmer le lien douteux qui unit cette pratique hybride à la nouvelle sculpture.
Le terme de sculpture, comme on vient de le voir est trop dilué dans trop de bacs différents pour pouvoir encore servir à définir ou à montrer quelque chose. Pourtant nombreuses sont les personnes qui continuent à l’utiliser. Certaines notions ont été lancées pour essayer de nommer les expressions artistiques en trois dimensions qui jalonnent le 20e siècle… une par mouvement (sans compter les scissions internes et les divergences de points de vue) pour ainsi dire. Seules quelques unes ont su montrer un peu plus de pertinence que celle, convenue, qui permet aux critiques d’inscrire leur nom dans une histoire (fut-elle des plus fugaces). Même si la notion d’environnement est des plus intéressante, elle ne prend que peu en compte les paramètres institutionnels, facteur de première influence (mais non l’unique) dans l’art de notre siècle. La conception de la sculpture dans le champ élargi, au contraire, permet de rendre compte de la peur, toute académique, que nous avons à sortir des sentiers battus, à nous confronter à de nouvelles expressions, à de nouvelles formes.
Comme on vient de le voir le 20e siècle est riche de bouleversements en ce qui concerne le champs de la sculpture : nouveaux matériaux, déformations, critique, … Et on s’est mis à appeler "sculpture" un peu tout et n’importe quoi. Ou plutôt tout ce qui était nouveau, déconcertant en trois dimensions et que l’on ne savait trop où classer. D’où l’emploi de ce terme pour désigner les travaux des artistes minimalistes, conceptuels, du land art, … En parallèle à l’emploi de ce terme générique se sont développés une multitude de nouvelles dénominations pour désigner ces singularités nouvelles. Ces termes renvoient à des mouvements ou à un type de créations, du moins aspirent-ils à cette dernière proposition, et sont forgés par des critiques et des institutionnels qui cherchent, semble-t-il, en faisant cela, à laisser leur nom dans l’histoire. A tel point que tous ces noms ne semblent plus seulement nommer des créations mais plutôt le point de vue d’une personne (critique, artiste ou institutionnel) sur une tendance. Cette réutilisation du terme sculpture, à des fins justificatives, nous y reviendrons, a, aux dires de Rosalind Krauss
" malaxé, étiré et tordu des catégories comme la sculpture et la peinture, leur conférant une élasticité extraordinaire. "
Mais qu’est-ce qu’apporte de plus le réemploi (excessif pour le coup) d’une terminologie comme celle qui nous occupe à la création nouvelle?
On peut constater, à l’instar de Krauss, qu’il est plus facile de d’accepter les nouvelles formes d’expression artistiques comme étant les avatars des formes classiques ou traditionnelles que de les admettre simplement. En effet, en tant que sculptures, ces œuvres appartiennent à un champ de l’art connu et par rapport auquel on dispose d’un certain nombre de repères qui permettent de les re-connaitre. Il est plus aisé de chercher à mettre en place une filiation (plus ou moins justifiée) entre une forme d’expression ou un style connu et une forme nouvelle en ce sens que la filiation a un effet légitimant : elle justifie le nouveau en lui donnant un contexte historique qui fait de lui le descendant logique d’une histoire en perpétuelle évolution (à entendre dans son sens hégellien). Des généalogies sont alors construites pour relier (à tort ou à raison) notre siècle aux temps passés :
" Le nouveau est plus accessible une fois rendu familier, présenté comme le résultat d’une évolution progressive des formes du passé. "
Le rejet de ce type d’entreprise ne signifie pas pour autant le rejet de toute tentative d’inscrire une création dans un contexte, par rapport à des références. Ce sont seulement les abus de cette technique que l’on refuse ici car ce sont eux qui conduisent à une dédéfinition des termes telles qu’elle vide le mot de toute signification, comme c’est le cas pour le terme de sculpture.
Pour Krauss, la sculpture est une catégorie historique et non universelle qui fonctionne à partir de conventions singulières. C’est à dire qu’elle est régie par des régles qui lui sont propres et qu’elle répond à une logique interne. Cette logique est liée à celle du monument en ce qu’il représente une valeur commémorative : ils est trace, souvenir, représentation d’un événement, d’une personne importante, de divinités ou encore d’idéaux. D’autre part, le monument est un signe emblématique qui ne peut être prégnant que situé en un lieu, un emplacement, précis et réservé, généralement, à un usage public. Cette logique de la réception et de la trace est issue de la sculpture –et des théories qui lui sont afférentes– telle qu’elle s’est développée entre le début du 15e et la fin du 18e siècle. Elle implique la réalisation d’œuvres horizontales (à l’opposé de la verticalité du tableau), en trois dimensions, figuratives, orientés (selon un ou plusieurs points de vue) et reposent généralement sur un socle ou un piédestal afin de se distinguer de ce qui les entoure. L’idée de perspective, qu’elle soit ou non unique, va dans le sens d’une contemplation de l’œuvre : elle demande d’être vue et regardée avec attention et les détails qui la composent ainsi que l’importance qui est vouée à leur réalisation en sont la preuve.
Pourtant le19e siècle annonce, comme on a pu le voir, la fin du respect de ces conventions (et la création de nouvelles). Rosalind Krauss impute cette destruction à une nomadisation de la sculpture : en stigmatisant le socle, en l’intégrant à la réalisation (comme ont pu le faire Rodin ou Brancusi), la sculpture se rend fondamentalement transportable, et cette "transportabilité" induit une perte du site : la sculpture perd son lieu d’attache en écrivant son autonomie. Ce qui change considérablement, entre la sculpture classique et la sculpture élargie, avec cette perte du site, c’est le fait cette dernière ait perdu son caractère commémoratif. Ce n’est plus le réel, l’événement qu’elle met en représentation mais sa propre existence, passant, pour parler en termes benjaminiens, d’une validation par la valeur cultuelle à une validation par la valeur d’exposition. Krauss considère la sculpture moderne comme une négation du monument : un pur indice sans lieu de prédilection et ne renvoyant qu’à lui-même.
La sculpture post-moderne induit encore de nouveaux termes et fait glisser encore un peu plus le terme de sculpture vers sa désagrégation. Passées les théories de la modernité quant aux spécificités de l’œuvre, l’emploi du terme sculpture va être de plus en plus difficile étant donnée la volonté affichée de certains artistes de le faire éclater. Il ne s’agit plus pour eux de se cantonner aux convention mais de créer un nouveau langage, une nouvelle grammaire. Ainsi, Krauss constate que l’on ne peut plus cantonner la "sculpture" qui se pratique depuis les années 60 à un champ étroit de conventions (celui qui délimite la notion de sculpture) mais seulement constater Que ses occurrences se situent quelque part entre le paysage, le non-paysage, l’architecture et la non-architecture, non plus dans un système d’oppositions, mais dans une sorte de carré sémiotique défini par ces quatre termes… et la sculpture n’est plus alors qu’un point défini de cet ensemble.
Or ces œuvres continuent à être décrites, montrées, commentées comme si elles étaient sculptures. Cette " manipulation " à, comme on vient de le voir, un but légitimant : cela permet aux institutionnels de justifier la présence de telles créations autant que s’assurer d’un suivi logistique sans surprises puisque déjà maintes fois éprouvé ; ou encore cela permet aux critiques d’employer un vocabulaire, une grammaire critique établie et référencée. Cette facture comme si c’est ce que je nomme une forme-sculpture : c’est le fait de vouloir faire rentrer des occurrences inclassables dans des "cases" trop petites pour elles. On pourrait croire qu’il existe deux formes sculptures comme il existe, prétendument, deux sculptures : une classique et une nouvelle. Ce serait une erreur : qualifier une sculpture de classique est une redondance car il n’existe d’expression de sculpture que dans ce que nous appelons classique. Ce que d’autres nomment la nouvelle sculpture, la sculpture moderne, (…) ne peut en aucun cas être considéré comme de la sculpture (tout au plus peut-on parler de sculpture jusqu’à l’époque des premiers collages cubistes, c’est à dire jusqu’aux années 10) : c’est une simple appropriation de termes, de mises en places, de moyens, de tailles… La sculpture post-moderne est un mirage, un mythe.
La forme-sculpture ne date pas d’aujourd’hui et l’invasion du champ de l’art par les nouvelles technologies n’a fait qu’engendrer l’utilisation de toute une palette de nouveaux matériaux. Avec l’apparition de la vidéo, au milieu des années 60, vont se développer des "sculpture" et installations vidéo comme on les appelle. Dans un cas comme dans l’autre, la vidéo est utilisée comme un matériau utilisable pour toute utilisation.
Forts des enseignements sur la sculpture que nous venons de développer, observons ce cas de forme sculpture, la forme-sculpture vidéo, en mettant en avant ses fonctionnements et limites.
Regarder une installation vidéo ou une sculpture vidéo signifie être face à un assemblage (soit de téléviseur(s), soit composite). Il ne faut pas perdre de vue que les films vidéo sont avant tout des objets temporels et que leur structure répond à une perception dans la distraction: le film (ou l’enregistrement s’il s’agit d’un en temps réel) se déroule dans le temps indépendamment des autres films et/ou des autres éléments de la structure. Ce qui est favorable à une perception non attentive, distraite : il existe dans la forme sculpture vidéo nombre de centres d’intérêts. Sans compter le fait que le son emplit la salle d’exposition de signes auditifs traduisant la présence d’une source sonore et d’effets lumineux de (écran) qui n’ont de cesse d’attirer à eux les regards des visiteurs.
Le son se propage de manière diffuse, créant autours de l'œuvre un dédoublement structural, une architecture sonore. De ce fait elle atteint à des lieux et places où on ne l'attend pas. Si elle est seule présente au sein de l'exposition cela ne pose pas de problèmes majeurs. En revanche si elle participe d'une exposition où d'autres travaux sont présentés des problèmes de parasitage se posent. En effet, l'œuvre vidéo installée interviendra sonorement sur toutes les œuvres qui se trouvent alentours. On pourra m'objecter qu'une association d'œuvres au sein d'une exposition est toujours créatrice de confrontations, de parasitages au moins visuels. Mais les contaminations visuelles restent "mineures" : il est possible de centrer son regard sur une sculpture, un tableau… ce qui est impossible avec les sons : l'ouïe est contrainte à subir plus qu'à écouter puisqu'elle n'a pas la possibilité d'isoler un son de tous les autres. Le son agit alors comme bruit de fond, continu et persistant, qui constitue un piège attractif complémentaire de la temporalité du film. La vidéo crée, par le son, un deuxième degrés d'appréhension de l'œuvre qui se superpose aux données de la vue, une sorte d’architecture sonore. Là où les choses se compliquent c'est lorsqu'il y a nécessité d'exposer plusieurs formes-sculptures vidéo dans un même lieu, ou lorsqu'il s'agit de les montrer avec des œuvres sonores. En effet les sons ne se contentent pas de se juxtaposer les uns aux autres : ils se confondent les uns avec les autres, créant un fond sonore se surajoutant à tous les bruits du lieu. Les commissaires et autres responsables d’exposition ont alors développé diverses manières de gérer le son, le prenant, ou non, en compte.
La forme-sculpture n’implique pas obligatoirement un refus de prendre en compte les caractéristiques sonores, mais il est fréquent que ce soit le cas : la mise en avant de la spatialité de l’œuvre joue le jeu du visuel essentiellement, et non de l’audiovisuel. On trouve ainsi quatre situations : couper le son, faire comme s'il n'existait pas, mettre un casque à la disposition des spectateurs ou isoler la pièce. Ce fut le cas lors de la rétrospective Joseph Beuys au Musée National d'Art Moderne. Toutes les œuvres étant simplement posées là, les sons produits par les unes venaient perturber ceux produits par les autres, le tout se noyant dans une cacophonie générale. Pour autant il peut être intéressant de jouer la carte des oppositions et parasitages sonores, mais cela se fait le plus souvent au détriment des œuvres présentées. De toutes le fait de couper le son est certainement la solution la plus rébarbative. Couper le son d'une vidéo sonore c'est supprimer l'œuvre. Fort heureusement cette initiative reste rare et minoritaire. Une variante consiste à couper la propagation du son par l'ajout d'un ou de plusieurs casques. Ainsi la partie sonore reste accessible mais uniquement si le spectateur en ressent l'envie. Cette solution implique une action et de décision de la part du spectateur. Ce fût le parti pris pour certaines vidéos de l'exposition "xxxxxxxxx" qui eut lieu en 1999 à l'Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts à Paris. Une dizaine de téléviseurs étaient installés le long d'un mur, à 40cm du sol, face à une rangée de coussins. Le spectateur y avait la possibilité de s'asseoir confortablement sur les coussins et de mettre un casque pour profiter pleinement, et sans être gêné par les bruits du lieu, des vidéos qui passaient en boucle (un programme par moniteur), ou alors de ne jeter qu'un coup d’œil, en passant aux vidéos. Mais là où certains commissaires n'ont vu qu'un palliatif à leurs problèmes, Dan Graham a fondé une véritable réflexion quand à la publicisation de la vidéo à travers le projet-oeuvre : "Piece for showing videos". Il existe aussi la possibilité d’un isolement phonique des pièces qui est plus caractéristique de la forme-cinéma mais que l’on peut aussi rencontrer avec la forme-sculpture. Le meilleur exemple d'isolation systématique est l'exposition lyonnaise "Musiques en scène" qui eut lieu, pour la dernière édition, en 1999. Chaque œuvre sonore disposait d'un espace propre, chacun étant isolé de tous les autres afin qu'aucune interférence ne puisse venir gêner l'écoute des spectateurs. En même temps ces séparations semblent jouer le même rôle que les socles dans la sculpture classique : elles autonomisent physiquement les œuvres les unes des autres afin de les mettre en avant. C'est un peu comme la cage de verre autours de la Joconde... Mais cloisonner de la sorte les expositions apporte-t-il quelque chose de plus au récepteur si ce n'est de renfoncer les cloisonnements théoriques existant déjà entre tous les genres, types et modes artistiques ? Après ce petit éclaircissement quant à la question de la gestion du son, il est temps de se demander ce qui motive l’entrée de la forme-sculpture au musée.
Qu'est-ce qui motive les artistes à produire des formes-sculptures ? Il faut rappeler que les formes d'art telles que nous les voyons encore aujourd'hui sont le produit d'une pression concomitante des acteurs du marché et des institutions. " L’homme académique " a la nécessiter de donner à toutes choses des formes normalisantes, classifiables et reconnaissables. La vidéo eut tout d'abord une période d'activité créatrice originelle que l'on qualifie encore aujourd'hui de "guérilla" et qui prend acte au cours des années 60. C'est à ce moment là que des artistes (Fluxus essentiellement) ont développé des œuvres qui leurs semblaient libérer la vidéo de sa gangue télévisuelle, étant entendu que le réseau de la télévision était compris par eux comme un big brother avoué ou potentiel. Ils utilisèrent alors la télévision comme un simple matériau qu’ils malmenèrent comme un sculpteur malmène la pierre avec son burin. Si l'art-TV des premiers temps est assez modeste, l'installation vidéo va très vite devenir gigantesque (en taille). Et c'est à la faveur des envolées financières des années 80, que va se développer institutionnellement cette forme initialement instaurée comme contestataire à l'encontre, justement, du système. En effet, c’est au cours des années 80, au plus fort de l’explosion financière, qu’entreprises et institutions, fortes de budgets conséquents, vont envahir le marché de l’art. Or l'installation vidéo donne à l'œuvre une forme connue du musée, et qui la fait accepter dans le cénacle des Beaux-Arts, elle reste trop gigantesque pour pouvoir être installée chez des particuliers. En revanche elle trouve sa place au sein des institutions. Ainsi, au lieu d'envahir le marché des collectionneurs, la forme-sculpture vidéo est peu à peu devenue une forme d'art institutionnelle, c’est à dire faite par et pour l'institution, non viable hors de ses murs. L'exemple de "Arc Double Face" de Paik est en ce sens éclairant: il s'agit d'une installation vidéo composée d'écrans de télévision dont l'assemblage est en forme d'arc de triomphe, le tout diffusant des images de monuments patriotiques issus de nombreux pays. L’œuvre est une référence explicite, et même un hommage, à "La Porte de l'Enfer" de Auguste Rodin. Outre son aspect référentiel, il s'agit pour Paik d'œuvrer pour l'éternité comme c'est le cas de tous les arc de triomphe. Mais le piège de l'institutionnalisation c'est que la forme-sculpture telle qu'elle l'a fait se développer n'est pas viable en dehors de l'institution : seules les institutions (musées, entreprises, galeries,…) peuvent se permettre d'être pourvoyeurs de telles œuvres. Le marché est inexistant. Prenons l'exemple d'un jeune artiste travaillant avec la vidéo et producteur exclusivement d'œuvre-sculptures: Francisco Ruiz de Infante. Ce jeune homme, ex élève de Christian Boltanski à l'école nationale supérieure des beaux-arts de Paris, est ce que l'on pourrait appeler un pur produit institutionnel. En effet sa production, au demeurant prolixe, est extérieure au marché des collectionneurs et ne se développe qu'au sein des musées: de Paris à New-York en passant par Milan il est présent dans toutes les collections des grands musées (nationaux). Il lui est pourtant impossible de vendre la moindre œuvre à des particuliers, même s'il compte parmi eux un certain nombre d'amateurs. Je citerai simplement cette anecdote que je trouve particulièrement significative des problèmes rencontrés par la vidéo d'installation: son agent, qui organise chez elle des portes ouvertes tous les ans, désireuse de vendre enfin une de ses œuvres à un particulier lui demanda, pour ses portes ouvertes de 1999, de réaliser une installation de petit format pensée pour l'intérieur, pour l'espace privé. Or ce type d’œuvre ne lui étant pas coutumière (il est au contraire spécialiste des œuvres monumentales) il lui fallut plus d'un an de travail acharné pour produire une œuvre à la logistique, en fait, encore trop compliquée pour convenir à l'énoncé d'origine... Cet artiste à été formé dans les écoles des Beaux-Arts de France et d'Espagne, par et pour l'institution. En dehors de ce contexte il s'avoue incapable de fonctionner.
Autre exemple. "Das Zimmer" est une installation vidéo conçue par Pippilotti Ristt et exposée pour la première fois en 1994 à la biennale de Lyon. Elle s'installe dans une pièce qu'elle occupe à elle toute seule. Ce que le spectateur découvre en y entrant c'est un salon tout ce qu'il y a de plus banal avec son canapé, ses lampes, sa télévision, ses fauteuils,... à ceci près que tout ce qui s'y trouve est démesuré. Plus exactement il a été reproportionné de telle sorte que l'adulte-visiteur se retrouve physiquement avec le même rapport aux objets du quotidien qu'un petit enfant. Ce qui bouleverse totalement son appréhension des objets et meubles du lieu. Comme avec les œuvres minimalistes il se retrouve dans un face à face corporel qui lui fait prendre conscience de son corps et de sa position dans l'exposition, sur une scène fictive où il accepte de jouer le jeu, de croire en sa fiction. Face à cette démesure (qui est pourtant censée ne pas nous être inconnue: nous avons tous été enfants, donc déjà mesuré à de tels états de faits) tout doit être repensé, recalculé pour réaliser l'acte le plus simple, par exemple s'asseoir sur le canapé. Cette importance donnée à ce qui n'en avait plus, outre le fait de nous donner une pleine conscience de notre corps, mets l'accent sur tous les non-temps (ou non-lieux temporels) du quotidien. De la même façon que Richard Serra, avec Tilted Arc, faisait prendre conscience à des citadins du non-lieu producteur de non-temps qu'ils côtoyaient tous les jours, Das Zimmer convoque les non-temps de la sphère privée. Pour reprendre l'exemple de l’action de s’asseoir (tentive), je dirai qu'un quasi-réflexe prend des allures d'escalade en pareil cas. Mais ce qui pousse les spectateurs à accepter de se mettre en péril dans ce jeu c'est l'attrait d'un téléviseur situé face aux places assises. Grâce à un télécommande les spectateurs peuvent choisir leur programme, en changer, aussi facilement que s'ils étaient chez eux... du moins si on ne tient pas compte de la taille de la télécommande. Or tous ces programmes sont composés de vidéos de l'artiste. Aussi intéressante et attractive que soit cette œuvre elle n'est pas viable hors du musée en raison de son gigantisme. Ce fait peut paraître "amusant" quand on songe que les principaux artisans de l'insertion de la vidéo dans le monde des arts sont des personnalités de Fluxus, c'est à dire des artisans de l'union de l'art et la vie... Alors que l'installation vidéo, telle qu'elle à été récupérée par l'institution, représente une autonomisation franche entre la vidéo et la vie. Existe-t-il une vie pour de telles formes aujourd'hui encore? Au vu du nombre d'installations vidéo monumentales réalisées chaque année il semblerait que oui. Du moins le musée reste friand de sa forme: elle confère à l'exposition qui l'abrite un côté événementiel, à la manière de la fête foraine. Ce qui induit un aspect populaire dans des expositions généralement taxées, par la critique (il n'est nul besoin de rappeler, je pense, les crises que traverse l'art contemporain depuis 1990), d'élitistes. C'est en quelque sorte un devenir-Disneyland du musée pour faire référence à Yves Michaud... Pour autant on constate que de moins en moins d’installations sont encore produites. Si les sculptures vidéo sont totalement tombées aux oubliettes de l’histoire de l’art, les installations vidéo tiennent encore … mais dans un statut d’objet de musée, quasiment de la relique.